Quand l'agroforesterie et la production laitière se rejoignent.

Publié le par Valérie Gentil

Quand l'agroforesterie et la production laitière se rejoignent.

Patrice, Loïc et Maryvonne LAGRE sont éleveurs de vaches laitières "Montbéliarde" au "GAEC des deux rives", à Plessé (44). Patrice nous reçoit dans la cour de la ferme, où notre petite communauté de Slow Fooders s'est donnée rendez-vous.

Il nous parle d'emblée de son combat : le foncier. Mobilisé à fond sur ce sujet brûlant, il nous parle de l'importance de savoir transmettre les terres, de ne pas les vendre à n'importe qui, de préserver les petites exploitations, de l'importance du pâturage dans l'élevage...
On le reçoit 5 sur 5, ce sont plutôt nos valeurs. Il est contre l'agrandissement démesuré et inhumain des exploitations, l'arrachage des haies, l'appauvrissement du paysage et de la biodiversité, et la perte d'emploi locaux qui va avec. Il est pour des exploitations à échelle humaine, avec des animaux bien traités. En 2002, son frère lance l'idée de passer en bio.
Patrice est sceptique : "J'avais peur !". Le bio, c'est le spectre d'une baisse de la productivité, de rendements plus faibles, une baisse de revenus, voire une mise en danger de l'exploitation... Mais pas si l'on appréhende le problème autrement. "On avait tout pour le faire, les céréales anciennes produites sur la ferme, pas de traitements chimiques...", alors en 2002, lui et sa belle soeur se laissent convaincre. Les deux rives se rejoignent.

Un état d'esprit qui se cultive.

Pour les 90 "Montbéliarde" qui se prélassent sur une centaine d'hectares, c'est la belle vie.
Patrice ne croit pas à la course à la productivité, qui conduit à épuiser des animaux finissant par tomber malades ou souffrant de tarissement. "C'est comme un cheval de course !" Qui veut traire loin ménage ses laitières, donc. Côté hommes, nous avons affaire à des sages. Pas de guéguerre entre bio ou pas bio, pas de jugement. Tout le monde s'entraide dans un esprit coopératif et solidaire. "On est en "CUMA" ici (Coopérative d'Utilisation de Machines Agricoles). Ca nous permet d'acheter du matériel en commun et d'alléger les dépenses. Il faut savoir qu'ici dans les années 80, c'était la misère. Et quand c'est la misère, on réfléchit et on fait les choses ensemble". Alors les agriculteurs de la région se partagent le matériel, et les "conventionnels" essaient le matériel des "bio", pour tester, pour voir... On échange sur ses pratiques.

Dans un pré, un taureau tranquille. Un "Blanc-bleu belge". De type "culard", c'est un champion de la viande. Un peu monstrueux, mais d'un tempérament très calme pour un taureau. On n'est pas dans Tex Avery. Il est là pour l'activité reproduction. En croisant "Montbéliarde" et "Blanc-bleu belge", la viande est beaucoup mieux valorisée à la vente. Pour le lait, les LAGRE restent 100% "Montbéliarde". En bio, le lait se vend en moyenne 100 euros de plus les 1000 litres.

Rustique la Montbéliarde ? "Grâce à l'espace et à la pâture, c'est rarissime qu'elles soient malades. Pour ça, il faut "conduire la prairie". Qu'elle soit riche, vitaminée, azotée... Le trèfle fournit cet azote, le pissenlit est hépatoprotecteur... La diversité floristique, c'est aussi ça la santé des vaches et la richesse du lait. Quant au complément, elles ont les céréales anciennes et le maïs produits sur l'exploitation.
Aujourd'hui, ils sont fiers de pouvoir travailler de cette façon et dans cet état d'esprit. "Nous, on peut prouver que maintenant, cet élevage est possible, puisque non seulement on arrive à en vivre, mais en plus, on dynamise la vie locale sociale".

Le rôle de l'agroforesterie.

Ici, c'est plutôt humide, on ne va pas se mentir. Alors il a fallu penser des solutions. "Elevage, pâturage, bocage, c'est notre paysage". Pour drainer l'eau, pour favoriser la pousse de l'herbe, les LAGRE ont planté des haies. Celles que leurs parents avaient arraché lors du remembrement d'après guerre. "Les anciens, quand on leur dit ça, ils ne comprennent plus rien"...
Des haies bocagères qui ont aujourd'hui une dizaine d'années, entremêlant noisetier, châtaigner, charme, houx, érable champêtre, cornouiller, merisier, dans lesquelles sont venus spontanément s'immiscer épine noir, ajonc et aubépine. Jean-Charles VICET, conseiller en agroforesterie pour la Chambre d'Agriculture, nous a accompagnés sur cette parcelle de pâturage du "GAEC des deux rives". Il nous explique le rôle de ces haies, leur immense utilité sur le plan de la biodiversité, leur aptitude à limiter l'érosion éolienne en limitant l'évapotranspiration du sol. Nous nous dirigeons ensuite vers le milieu du pré, où viennent d'être plantés de petits arbres. Patrice LAGRE nous raconte comment il est venu à l'agroforesterie, dans un souci conjugué du bien-être animal et de la diversification de l'activité, en cherchant des complémentarités. "La plantation d'arbres sur une pâture, c'est l'assurance d'avoir des arbres qui vont pousser deux fois plus vite qu'en forêt".
Pas de compétition pour la lumière, du fumier, un aménagement qui a tout bon. Jean-Charles VICET tient entre ses mains un jeune alisier, espacé de 10 mètres de ses voisins merisier, chêne chevelu, cormier, poirier... Il égrène tous les avantages de cette optimisation : "Les arbres qui vont pousser là seront de véritables parasols à vaches". On pense aussi parapluie, mais les vaches cherchent plus à s'abriter d'un soleil trop cuisant en plein été. "Comme on va passer à leurs pieds avec des machines, ou qu'ils peuvent être amenés à être en compète avec des cultures, leurs racines vont aller chercher le sol en profondeur. Elles vont pomper l'azote libre, enrichir le sol en matière organique, à leur échange avec les bactéries et les champignons, favoriser ainsi la pénétration de l'eau et éviter l'érosion. La fertilité des sols augmente de façon spectaculaire". Sans compter que les arbres, c'est du stockage de carbone, et que leur taille apporte du bois pour les chaudières, ou du BRF (bois raméal fragmenté), l'or vert qui nourrit le sol. Une fois adulte, les billes pourront être vendues et générer un revenu supplémentaire régulier pour l'exploitation, pour peu qu'un roulement soit anticipé. Une potentialité qui valorise les parcelles. Nous regardons nos bottes et réfléchissons à toute cette vie qui grouille sous nos pieds grâce aux arbres.

Initiation à la traite.

De retour à la ferme, Patrice nous fait entrer dans la salle de traite, ou les vaches s'installent tranquillement à leur place, en nous regardant d'un oeil curieux. C'est qui ceux-là ? Allez, c'est à nous de jouer. La buse entre deux doigts, les embouts de la trayeuse électrique dans la main, Patrice nous apprend à nous positionner entre les pattes arrière et à enfiler les embouts de façon franche et rapide sur chacune des mamelles. Pour terminer, nous faisons une petite dégustation de lait de "Montbéliarde" tout juste sorti du pis, à 37°... Doux et sucré ! On repart avec une bouteille, qui nous aura permis de faire sans doute le meilleur riz au lait de l'année.

Merci à Patrice et à Maryvonne LAGRE ainsi qu'à Jean-Charles VICET pour leur accueil et pour cette formidable approche des problématiques de la production laitière et des horizons ouverts par l'agroforesterie. Et pour ce riz au lait magnifique...

Quand l'agroforesterie et la production laitière se rejoignent.Quand l'agroforesterie et la production laitière se rejoignent.
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M
chouette journée, crevante, mais merveilleuse!<br /> et pourtant : une grande et passionnante matinée à tout (ou presque !) apprendre sur l'abeille sans en voir une, un extraordinaire après midi à imaginer ce que seront les 7 ha divisés par 2 haies... <br /> les vaches, des vraies, c'était le cadeau pour la route !<br /> on recommence quand à apprendre et à rêver comme cela ? (avec des aimables passionnés bien sûr)
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