Atelier n°6, les poissons de Loire.
C'est Arnaud Guéret, "pêcheur de Loire", mais sûrement pas marin d'eau douce, qui nous fait l'amitié d'illustrer cet atelier. Arnaud pêche dans l'Erdre et la Loire en amont d'Ancenis
Il vient de Varade nous parler aujourd'hui de son métier, "pêcheur de Loire", si rare qu'ils ne sont que 77 en Loire (et 430 à l'exercer dans l'hexagone). Un métier inconnu de tous, à tel point que l'administration le classe comme "agriculteur" ! Il ne s'en offusque pas, c'est un homme raisonnable qui va à l'essentiel.
Avec Arnaud, tout est calculé : des filets au maillage correspondant au poisson souhaité et à sa taille, des nasses, des petits chaluts qui se jouent des courants. Toutes les méthodes de pêche sont bonnes à utiliser, même les plus ancestrales dès lors qu'elles ont fait leurs preuves.
Pendant qu'il pêche, Amélie ne se roule pas les pouces, elle prend en charge la pêche d'Arnaud : elle pèle, gratte, nettoie, sale, fume, ... c'est une vraie pro du poisson valorisé.
Quand il s'est installé il y a treize ans, l'anguille représentait 45 % de son activité. Pêche intensive, pollution, barrages... ont failli venir à bout de cet étrange poisson migrateur qui fait 6 000 km à l'état de larve pour s'épanouir en eau douce. Interdictions, quotas, 7 ans de règlementation semblent porter leurs fruits en Loire. Notre fleuve serait donc propre ? En tous cas, il le redevient.
Les quotas ? Arnaud ne s'en émeut pas trop. Son souci de gestion des stocks et du maintien des espèces est bien plus contraignant. Vivre à fond ses engagements lui donne un profond bonheur, cela se voit, cela s'entend. Et quand on sait que le tout petit quota de la civelle sert essentiellement à l'aquaculture de l'Europe du Nord et des pays asiatiques, on ne peut qu'approuver ses choix.
Il ne pêche que des poissons sauvages : brochet, sandre et alose sont réservés par les meilleurs restaurants locaux avant même d'être pêchés. Quand il s'est installé il y a treize ans, l'anguille représentait 45 % de son activité. Le plan anguille limite la durée de pêche pour l'anguille jaune (nom due à sa couleur, qui correspond à sa phase de croissance d'une dizaine d'années en eau douce) et interdit la pêche de l'anguille argentée (elle change de couleur pour retourner en mer des Sargasses où elle est née, pour s'y reproduire).
Pourquoi s'obstiner à détruire quand la Loire nourrit tant d'espèces différentes ? Arnaud s'est donc adapté. Avec Amélie et son talent, tout paraissait possible, il suffisait de faire l'inventaire des richesses existantes et de trouver les bonnes recettes. Cet atelier promet de belles découvertes.
Notre assiette est bien pleine, du poisson fumé nature, fumé et poivré (poivre du Sishuan de Sylvie Jobbin, cf. atelier n° 4), et en conserve. Impossible de deviner, il y en a bien un qui ressemble à un thon de luxe à l'huile, mais en Loire... Ce n'est pas de l'anguille, la pêche est terminée jusqu'à l'année prochaine, et si l'on tient compte des exigences des restaurateurs, quels sont ces poissons dans notre assiette ? Ils sentent bon, avec une très légère odeur de fumé... qui provient exclusivement de hêtre non traité, le meilleur pour ne pas prendre le pas sur le goût du poisson.
Le fumage et la conserverie sont un art, et si l'on ajoute un zeste de secret... c'est comme le levain d'un boulanger, chacun est unique.
Arnaud nous explique qu'il y a deux espèces invasives, le silure, depuis 30 ans, gros poisson carnassier originaire des pays de l'Est qui peut atteindre 100 kg, et la lamproie de mer, qui n'est pas un poisson, mais un vertébré primitif antérieur aux dinosaures, sans colonne vertébrale osseuse, sans écaille, sans nageoire, et sans bouche, une sorte de sangsue géante qui parasite les poissons. Impressionnant ! Déroutant cette idée de manger de tels monstres...
Et là, la magie opère ! D'abord le mulet, moins antipathique, apparenté au hareng, avec ses trois présentations : étonnant, juste assez de gras pour transmettre les saveurs, bien plus doux à mon goût que l'anguille. Puis le "moche" silure, avec ses grandes moustaches, qui nous donne à connaître l'apothéose avec la recette d'Amélie : fumé, mariné dans l'huile de noisette et mis en conserve à Sarzaud (Morbihan), le silure vaut ce déplacement.
En prime, nous savons désormais que la lamproie, espèce migratrice qui pond dans les gravières et s'en va grossir en mer, sensible à la pollution, disparaît... sauf en Loire. Notre beau fleuve capricieux est peu pollué et plein de richesses étonnantes. A nous de jouer les "éco-consommateurs" pour contribuer à la défense de son équilibre.
On peut retrouver Arnaud et Amélie GUERET ici : La Boucherie, VARADES (44370)
Pour connaître les secrets de la pêche à la Lamproie, qui remonte jusqu'à Blois : une vidéo Slow Food du convivium de Tours : http://youtu.be/XK8EEujQctE